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Concours Jadis et Demain 2013Cette année, la Journée mondiale de l'hémophilie, le 17 avril 2013, avait pour thème la Recherche. La Recherche a permis, au fil des années, une amélioration constante de l'efficacité et de la sécurité des traitements, bouleversant ainsi le quotidien des hémophiles. Ceux de jadis ne vivaient pas de la même manière que ceux de demain ! C'était donc l'occasion pour nous de vous proposer ce concours de nouvelles "Jadis et demain". L'heure est venue d'annoncer le palmarès. L'Impudent, le Héros et l'Hémophile par Benoît GoniakAu cœur même des montagnes vivait un maître d’armes sans égal. Mille poèmes relataient chacune de ses victoires, mille chansons glorifiaient sa maîtrise de l’épée. Batila était une légende, mais il n’en avait jamais tiré la moindre arrogance. Alors qu’il aurait pu vivre dans un palais, il s’était installé dans une vallée isolée et y avait construit une humble maison en bois. *** Moins d’une semaine s’était écoulée lorsqu’un somptueux carrosse tiré par huit grands chevaux s’immobilisa devant le cabanon. Le cocher ouvrit la porte du véhicule et aida son maître à en descendre. Eldonrion, fils aîné du grand Batila, était richement vêtu : de ses bottes à sa coiffe, le moindre de ses vêtements était cousu dans les tissus les plus chers, brodé de fils d’or, serti de pierres précieuses. Son visage était élégamment maquillé, ses longs cheveux noirs étaient soigneusement coiffés. — Père ? appela-t-il sèchement. Père, je suis ici ! Après quelques instants de silence, Eldonrion se mit prudemment en marche. Ses chausses de cuir s’enfonçaient profondément dans la boue glaciale de la forêt. Le visage du jeune homme s’assombrit à mesure qu’il approchait de la cabane. L’expérience ne le transportait pas de bonheur. — Tu as encore beaucoup à apprendre, mon garçon. Sans un mot de plus, Batila ramassa le seau, retourna dans le cabanon et ferma la porte derrière lui. *** Au crépuscule suivant, un cavalier solitaire apparut. Batila reconnut aussitôt son deuxième fils, Auvican. Celui-ci mit pied à terre et, la démarche sûre, se dirigea vers la petite maison. — Bonjour, Père. — Bonjour, Auvican. — Je suis désolé d’avoir échoué. Je vais vous aider à nettoyer. — Ne sois pas désolé, mon fils. Tu m’as impressionné. Une étincelle de fierté passa dans les yeux du jeune guerrier, rapidement éteinte par son humilité naturelle. *** Jerestin atteignit le cabanon deux mois plus tard. A raison de deux heures par jour, il avait parcouru près de cinq cent kilomètres. Malgré la distance, il avait été contraint de voyager à pied : chevaucher provoquait chez lui de sourdes douleurs dans le dos, les fesses et les cuisses. Sa peau se couvrait d’hématomes et ses articulations allaient jusqu’à se bloquer complètement. — Bienvenue, Jerestin, murmura-t-il dans un souffle. As-tu fait bon voyage ? — Bonjour, Père. La route a été agréable. Je n’ai pas souffert. — C’est une bonne chose. Je suis ravi que tu sois entré sans embûche. Sais-tu pourquoi tu es ici ? — Le message m’a dit que vous ne souhaitiez pas que votre épée reste ici après votre mort. — Parfait. Prends-la, mon fils. Elle est à toi. Jerestin parut sincèrement surpris. — A moi ? Donnez-le à Auvican, il a le courage d’un lion ! — Ton frère ne connait pas le courage, Jerestin, puisqu’il ne connait pas la peur. Tu mérites mon héritage bien davantage que tes frères. Tu as peur de la moindre chute, de la moindre blessure, mais cela ne t’a jamais empêché de faire ce qui est juste. Là réside le vrai courage. Tu ne t’es jamais apitoyé sur ta différence ; mieux que cela, tu l’as cultivée pour en faire ta plus grande force. Tu as enduré les railleries et les provocations des hommes, ainsi que l’inquiétude et la pitié des femmes. A bien des égards, tu es un héros, Jerestin. Jadis, on te disait faible ; je veux que demain, tout le monde sache que je te considérais comme mon digne héritier. Sous le regard embué de son fils, le vieil homme ferma les yeux. Il ne les rouvrit jamais. De retour chez lui, Jerestin accrocha Joyeuse à son propre mur. Encore aujourd’hui, lorsqu’il la regarde, il oublie ses faiblesses et devient ce qu’il a toujours été : un homme ordinaire, différent, héroïque. La Défaite par Alexandre SantosS’il y a quelque chose de fondamentalement incompatible avec l’enfance, ce doit être la maladie. Je ne parle pas d’un mal passager, du simple, si je puis dire, trouble physique qui cloue au lit le garnement d’ordinaire intrépide. De toute évidence, il faut de ces maux-là, qui courent, pas bien sérieux, et vont finalement dans le sens de la vie. Non, ce qui ne peut aller de pair avec l’enfance, c’est la maladie innée, inscrite dans les gènes, insurmontable, invisible. Elle n’est pas forcément dangereuse, encore moins mortelle, mais elle peut, selon les circonstances, faire office de véritable fossoyeuse, dans une nonchalante asphyxie des songes enfantins. Il est probable que Louis pensait à quelque chose de la sorte ou à un tout autre sujet dans le bus qui le menait au combat. Il avait une sœur, Jeanne, qui s’était hissée en finale d’un illustre championnat de boxe. Une jeune femme dont on décela les aptitudes sportives très jeune et le talent de boxeuse dans la prime adolescence. Pour tout dire elle ne fût entraînée qu'avec des garçons et en avait acquis une absence complète de peur doublée d'une heureuse brutalité qui faisait la différence. Louis espérait qu’il pourrait saluer Jeanne avant le combat. C’était sans compter sur la tendance séculaire des bus de villes à toujours traînasser, qui le mit en retard, et fit naître l’idée qu’il prendrait le métro, la prochaine fois, quitte à marcher plus. Du reste malgré la lenteur, il pût arriver à l’heure escomptée. Étrangement il pût entrer sans présenter le moindre justificatif. Personne ne surveillait l’entrée aux vestiaires. Cela l’inquiéta un tantinet : il eût peine à accepter qu’on pouvait si facilement accéder à un lieu fait pour que sa sœur s’y dévêtisse. Lorsqu’il entra, le silence était parfait. Jeanne était allongée, les yeux clos. Elle tenait ses gants contre sa poitrine. Tant concentrée qu’elle ne remarqua pas l’entrée de son frère. Ce dernier en fût assez impressionné et n’osa la sortir de cet état. Un gris souvenir d’un mercredi après-midi en profita alors pour se rappeler à lui. Il avait oublié la date mais le jour non, comme c’est souvent le cas, tandis que le contraire serait plus pratique. Louis devait avoir onze ans. Il était, et l’est toujours d’ailleurs, atteint d’un mal pas spécialement connu, du nom d’un médecin hollandais, qui l’interdit, entre autres, rigoureusement de se risquer à prendre des coups. Cela ne l'empêcha pas, et l'on peut penser que cela l'encouragea même, à nourrir une passion déraisonnée pour la boxe. Il en eût toujours une image de sport héroïque, tragique, dans sa solitude, sa violence, son jusqu'au-boutisme. Pour lui, la boxe était le seul sport où il était beau de perdre. Ne pouvant tout à fait se résoudre à délaisser l'univers du ring, sur lequel il avait soit dit en passant acquis des connaissances inouïes, il se mit dans la tête qu'il trouverait bien un entraîneur qui voudrait se charger de le former, lui ferait suivre le programme d'entraînement d'un boxeur, le traiterait comme tel, avec une intransigeance, une abnégation semblables, sans le proposer à la compétition ou à quelconque combat. Il aurait acquis ainsi, faute de mieux, l'esprit et le corps, au moins si ce n'est leurs enjeux et leurs gloires, des combattants qui peuplaient ses rêves. On rit un peu de cette idée, jugée saugrenue, et ses premières demandes se soldèrent par des refus surpris. Un de ses professeurs de collège, néanmoins, de pitié ou d'affection pour lui, jugea bon de le présenter à un de ses amis, gérant d'une salle de boxe et maître de plusieurs jeunes poulains, qui accepta de le prendre sous son aile, à l'étonnement de beaucoup et sans que lui_même ne sache vraiment pourquoi non plus. Le premier entraînement fut donc fixé un mercredi matin. Louis s'y rendit avec une excitation si palpable qu'elle devait être insupportable pour quiconque croisait son chemin ou lui adressait la parole. En franchissant la porte de la salle, il eût, pour la première fois de son existence neuve, le sentiment qu'il allait pouvoir vivre un peu. Lutter, sentir la douleur s'immiscer, ankyloser chacun de ses muscles, souffrir parce qu'il le voulait et non par un coup du sort, au milieu de ces chevaliers aux visages tuméfiés et ruisselants de sueur. Sur ce point, il ne se trompa point : abdominaux, tractions, corde à sauter, sac de frappe, le coach ne lui épargna rien, si bien que la séance de deux heures ne dura qu'une vingtaine de minutes. Une brûlante vague de joie envahit Louis quand l'entraîneur lui donna rendez-vous pour la semaine suivante. L'après-midi, fort logiquement, il rentra chez lui. Sa mère l'attendait, inquiète, pour ne pas dire sur le qui-vive. Une activité sportive aussi intense l'effrayait. Quoi de plus naturel à une femme qui seule fût au chevet de son fils, quand la maladie était encore méconnue et que les tests s'enchaînaient, sur des mois, avec des succès relatifs, jusqu'à une fois où l'un d'eux provoqua une tachycardie mémorable ? A ses yeux, Louis frôlait la bêtise de s'exposer, de la sorte, à des souffrances inutiles. Le jeune adulte qu'il est de nos jours commence tout juste à le comprendre, après des années de révolte. Une petite révolte, discrète, saupoudrée, par-ci, par-là. Cela dit, au bout du compte, il apprît bien plus à vivre avec ce cher Willebrand qu'il n'a voulu se l'avouer. Enfin bref Maman l'attendait au tournant. Il parvint malgré tout à la contaminer de son bonheur radieux et elle se prît à sourire, à se laisser guider par ce petit traître d'optimisme. C'est quand Louis rejoignit sa chambre qu'elle remarqua que, depuis son retour, ses mains n'avaient quitté ses poches. Elle l'interpella alors le jeune garçon. Elle vit que ses pognes étaient bien trop rouges, et fit observer qu'il aurait de jolis hématomes dès le lendemain. Louis expliqua que c'était en tapant, bien sûr, sur le sac, et non pas en se livrant au combat tout en sachant que que cela n'y changerait rien. C'en était fini de l'entraînement. Louis s'effondra à cette annonce dont il ne pouvait pourtant être surpris, lui qui, de plus, était en général un enfant solide et peu prompt aux larmes. Celles-ci mirent un certain temps à se tarir et bien qu'elles ne coulèrent plus sur le visage de Louis ensuite, elles ne cessèrent d'alimenter un des fleuves secrets de son âme durant quelques temps encore. Durant les années suivantes, Louis se révéla en tant que peintre. Selon ses propres dires, cela lui semblait une évolution logique car il concevait l'art comme un sport et chaque coup de pinceau comme un mouvement de musculation insurmontable. A ce propos, le soir du gala, la période lui était propice. Les propositions affluaient, sa notoriété et les projets prenaient de l'ampleur, du moins une certaine ampleur. Il y avait peut-être quelque chose à faire là-dedans, pour lui. Dans le vestiaire, face à cette sœur qui n'avait toujours pas conscience de sa présence, il fut soudain submergé d'une tendresse irrésistible. Il déposa un long baiser sur sa joue, certainement le plus fort qu'il ne lui donna jamais, et lui dit à l'oreille : « Peu importe si tu perds ». Astre bleu par Eve BonfantiJe suis mort...? D'où vient-il?... L’étrange créature m’a ramassé avec précaution, a rassemblé mes débris, m’a déposé sur sa paume. Il est là, il repose sur la paume de ma main comme sur sa dernière page. Entre deux lignes, ma ligne de vie et ma ligne d'amour... Est il possible que je sois devenu une enveloppe vide, sans inspiration et sans souffle ? Je me hâte, pousse la porte du petit café. Moi qui croyais qu’il ne me restait que deux trois points de suspension à vivre... Je ne sais pas ce que j’écris mais qu’importe, puisque je reviens au monde, puisque c’est moi qui trace sur le papier ces arabesques inconnues, ces volutes torsadées de spirales et de colimaçons nés d’un idiome mystérieux. |