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Concours Rouge Sang et Blanc de Neige 2012

Nous sommes le 17 avril, c'est la Journée Mondiale de l'Hémophilie ! C'est l'heure d'annoncer les vainqueurs du concours de nouvelles organisé par la Commission Jeunes Adultes sur le thème "Rouge sang, blanc de neige", à l'image du logo de l'AFH mais aussi de nombreuses associations membres de la Fédération Mondiale de l'Hémophilie. Avant tout, merci à tous ceux qui ont participé ! Nous avons reçu 18 nouvelles, un chiffre qui nous réjouit pour cette première édition, et attendu le sujet très particulier. Les débats passionnés auxquels le jury s'est livré ont souligné la grande diversité et la qualité des contributions reçues, et le classement était loin d'être joué d'avance. Le voici donc :
1. Fuite incessante, par Erwei-O-Kima
2. Un hiver sur les places rouges, par Thomas Kryzaniac
3. Crise d'adolescence, par Alexandra Prévot

Nous saluons la nouvelle victorieuse, Fuite incessante, qui nous a semblé avoir respecté de manière équilibrée l'ensemble des critères - respect du thème, exactitude des références à un trouble de la coagulation, chute, style plaisant, etc. Ce premier prix vous semble-t-il mérité ?

Une seule nouvelle a suscité un enthousiasme unanime, Un hiver sur les places rouges. Le seul élément qui a, in fine, retenu le jury de lui accorder la première place fut la crainte que les lecteurs de la revue Hémophilie et Maladie de Willebrand n'interprètent la nouvelle comme une incitation à des actes... inconsidérés ! (lisez, vous comprendrez !). Mais nous aimerions beaucoup avoir votre avis sur cette nouvelle, et discuter avec vous de l'engagement auquel elle appelle. Cette nouvelle nous a semblé la plus puissante.

La troisième nouvelle, intitulée "Crise d'adolescence", est d'un style très différent. De toutes la plus amusante, elle joue avec une distance ironique sur les clichés et une approche un peu littérale de l'hémophilie par un ado fraîchement diagnostiqué hémophile mineur. Mais elle n'a pas fait l'unanimité ! Et vous, qu'en dites-vous ?

Venez en discuter sur Facebook et rejoindre le groupe de la Commission, si ce n'est déjà fait !
Encore félicitations à tous !

Marion Berthon, Rédactrice en chef de l'Association Française des Hémophiles Nadège et Dorothée, co-responsables de la Commission Jeunes Adultes.

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Fuite incessante par Eirwei-O-Kima

Le vent glacial fouettait mon visage, mais cette sensation était, à vrai dire, celle qui me préoccupait le moins. Dans ce désert d'un blanc parfait où la neige m'arrivait jusqu'aux genoux, masquant les rares éléments de relief, j'étais blessé et seul.

Enfin, seul...
Je sentais une présence derrière moi. J'ignorais qui cela pouvait bien être, mais je me savais suivi. Et, avec les gouttes de sang qui, régulièrement, teintaient la neige immaculée de son rouge inimitable, marquant par la même occasion mon passage, me suivre devait être chose aisée.

J'avançais péniblement, en luttant contre le vent. Le ciel était nuageux, si pâle qu'il devenait impossible de déterminer où se trouvait l'horizon. Seule l'ombre claire des collines et des rares arbres enneigés me permettait de me repérer dans ce paysage où aucune trace d'êtres humains n'était visible. Étais-je condamné à mourir seul dans cette étendue blanche, enfoui à jamais dans la neige ? Et, plus important encore, comment étais-je arrivé ici ? J'avais beau chercher, mon esprit engourdi ne s'en souvenait plus, ou ne voulait plus s'en souvenir. C'était probablement trop douloureux, trop angoissant. Et, surtout, plus rien n'existait si ce n'était cette fuite, cette course qui me semblait sans fin.
Mon pied buta contre quelque chose – une pierre, sans doute – invisible sous l'épaisse couche de neige. Je m'étalai de tout mon long dans cet océan glacé et instantanément, le froid se propagea dans tout mon corps. Lorsque je dus plonger mes mains dans la poudreuse pour pouvoir me redresser, j'eus l'impression qu'elles n'y survivraient pas tellement la sensation de froid me semblait insupportable.
À quelques pas de moi, un craquement dans la neige se fit entendre. Je fis volte-face, manquant glisser sur une plaque de glace. Une femme me dévisageait d'un air satisfait. Sa peau semblait aussi blanche que la neige qui l'entourait, ou que les légers vêtements qu'elle portait. Si elle n'avait pas eu les cheveux châtain, elle aurait pu sans peine se fondre dans cette étendue glacée.
Immédiatement, l'angoisse envahit mon corps. Tout mon être semblait me crier qu'elle n'était pas humaine, que je devais m'enfuir.
Elle me sourit, du sourire de celle qui a retrouvé un objet égaré, du sourire de celle qui a finalement obtenu ce qu'elle voulait. Du sourire de celle dont les canines sont trop longues pour être honnêtes.

Soudain, elle ouvrit la bouche. Rit allègrement de l'ironie de ma situation. De moi, l'idiot qui avait pensé lui échapper, blessé, en plein milieu de nulle part. De moi qui, depuis le début, aurais pu abandonner et satisfaire son insatiable soif. De moi, l'hémophile qui aurait perdu moins de temps et d'énergie à lui donner ce qu'elle voulait. Son rire cristallin, qui se mariait si bien avec le milieu qui nous entourait, retentit dans mon crâne, écho agaçant, semblable à un acouphène incessant.

Alors je me souvins. Je me souvins l'avoir déjà vue, par le passé. Des souvenirs me revinrent par bribes : son visage souriant ; une peur soudaine, incontrôlable, alors qu'elle s'approchait de moi, une peur sans précédent, à m'en donner des nausées ; une douleur au bras, à ce bras qui ne cessait pas de saigner.
Elle fit un pas dans ma direction. Je bondis en arrière et tentai de m'échapper, d'aller le plus loin possible, le plus vite possible. La sensation était atroce. Je sentais ma vie se déverser goutte à goutte hors de moi. À quand remontait ma dernière injection ? Je l'ignorais, mais le sang ne coagulait pas. Il fuyait mon corps, comme j'aurais souhaité fuir cet endroit et l'être qui me traquait. Depuis quand cette course-poursuite durait-elle ? Mon corps n'était plus que douleur, à tel point que chaque réponse de sa part semblait relever du miracle. Alors qu'un coup de vent un peu plus violent me fit vaciller, je me demandai si, un jour, cette course se terminerait.
Comme si la nature avait entendu mes pensées et décidé d'abréger mes souffrances, je trébuchai de nouveau et glissai sur une plaque de glace, jusqu'en bas d'une butte. La neige me glaça jusqu'aux os. Mais alors que la douleur sourde dans mon bras suivait le rythme imposé par les battements angoissés de mon cœur, j'eus une idée. Me redressant, je saisis une poignée de neige à pleine main et, ignorant le froid, j'en fis un morceau de glace que je pressais immédiatement contre ma blessure. Peut-être que le froid permettrait de ralentir, au moins en partie, l'hémorragie qui, peu à peu, me vidait de mes forces.

Mais, avant même que je ne puisse me relever, quelque chose de lourd – le corps de la femme ? - me heurta et me plaqua au sol, la tête dans la neige. En vain, je tentai de me redresser, mais mon bras valide se trouvait écrasé sous mon corps, serrant toujours ma plaie avec le peu de force qui lui restait. Ma poursuivante me maîtrisa sans peine, ignorant mes faibles tentatives pour la repousser et me retournant sur le dos. Ma gorge était nouée par la peur et mon cri de détresse ne retentit qu'au sein de mon propre crâne. Avec toujours ce même sourire, empreint désormais d'une sadique satisfaction, elle se pencha vers moi. Ses deux mains pressaient fermement mes épaules meurtries. Je sentais mon corps m'abandonner, céder à la fatigue de cette lutte épuisante alors que je cherchais en vain un dernier espoir, une dernière chance de m'en sortir. Une mèche de ses longs cheveux chatouilla ma joue alors qu'elle approchait son visage du mien. Mon corps entier se tendit, comme pour se préparer à la nouvelle douleur qui, bientôt, viendrait s'ajouter à toutes les autres. Le souffle glacial de la femme s'approcha de ma gorge. Je fermai les yeux...

- Alexandre ? Alexandre, vous m'entendez ?

J'ouvris les yeux. La lumière vive qui se réfléchissait sur les murs blancs m'éblouirent et je clignai plusieurs fois des yeux. L'infirmière aux cheveux châtain sourit, s'éloigna de mon visage, puis vérifia le pansement qui serrait douloureusement mon coude. En me rappelant pourquoi j'étais à l'hôpital et les compresses tâchées dans le haricot sur la table, je lui lançai un regard inquiet qu'elle saisit instantanément. Son sourire s'élargit alors qu'elle prononçait les mots qui calmèrent mon cœur angoissé.

- Ne vous inquiétez pas, vous ne saignez plus. C'est la première fois que vous faites un malaise pendant une prise de sang ?

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Un hiver sur les Places Rouges par Thomas Kryzaniac

C’était l’hiver dernier, à Paris. Je me baladais le long la Seine quand j’ai aperçu des taches rouges sur le sol. Je ne suis pas bête, et j’ai bien compris que c’était du sang.

Les gouttes s’étalaient sur plusieurs mètres, comme si un petit poucet sanguinolent les avait semées derrière lui. J’ai suivi le chemin du sang jusqu’à un pont ; là, les traces s’arrêtaient. Je n’étais pas très rassuré par ma découverte, et je suis rentré chez moi. Je me rappelle avoir dormi pendant douze heures.

Le lendemain, je suis à nouveau tombé sur du sang, alors que je me promenais (et pas du tout au même endroit.) Cette fois-ci, il y en avait beaucoup plus, en plein milieu du trottoir. Soit une personne était morte, ai-je pensé, soit elles s’étaient mises à plusieurs pour en perdre autant. Les traces rouges formaient des cercles dans la neige. J’interrogeai les passants pour savoir ce qui s’était passé, sans résultat. Ils piétinaient la mare de sang sans y prêter attention ; des empreintes rouges partaient dans toutes les directions, impossible de suivre une piste.

Par curiosité, je me suis rendu dans d’autres endroits de la ville. Dans chaque rue, sur chaque place, j’ai trouvé les mêmes éclaboussures. Parfois elles étaient bien cachées (sous une voiture, près d’une fontaine, etc.), mais, en général, elles s’étalaient à la vue de tous.

Je suis resté de longues minutes près d’une grande traînée rouge ; je voyais bien que tous les piétons, à mon niveau, étaient frappés de stupeur. On ne croise pas comme ça du sang dans la rue, il est forcément synonyme de malheur, de crime, de mort. Ils détournaient leurs regards et pressaient le pas.

Une vieille dame s’est arrêtée pour savoir si j’allais bien. J’ai commencé à me déshabiller pour lui montrer que je ne saignais pas, qu’il n’y avait aucune plaie sur mon corps et que par conséquent, tout ce sang par terre, il ne m’appartenait pas.

Elle m’a regardé ôter mon pull et ma chemise, et elle est partie sans rien dire.

La vieille avait réveillé mon inquiétude. Et si tout ce sang dans les rues, c’était, véritablement, le mien ?

Non, impossible. Malgré le froid, je sentais que je n’étais pas blessé. Et si j’avais perdu tout ce sang, je ne serais pas là pour en parler.

Il devait bien appartenir à quelqu’un, mais à qui ? Aucune réponse ne me venait.

Je voulais rentrer chez moi, et je suis tombé sur un homme étrange. Il était très peu vêtu (alors que la température avoisinait moins dix), il marchait vite, et surtout, il tenait dans sa main un bout de verre brisé qu’il serrait très fort ; des gouttes de sang lui coulaient des doigts.

J’ai suivi l’homme (c’est à dire : je l’ai suivi, lui, mais aussi les gouttes de sang qu’il semait sur son chemin) jusqu’à un immeuble. Il est entré dans une cour, et a ouvert une porte. J’ai hésité dix minutes et finalement je suis entré moi aussi.

Rien ne m’avait préparé à cette scène. Je me suis retrouvé dans une petite pièce, où trente personnes environ étaient entassées. Des hommes, uniquement. Leurs corps étaient couverts de coupures, contusions, et autres plaies diverses. Du sang suintait sur leur peau, et barbouillait leurs habits. J’ai d’abord pensé que j’étais tombé sur un nid à clodos, un squat apocalyptique, mais ces hommes, malgré leur débraillement, portaient les signes extérieurs d’une condition aisée (des montres en or, des costumes chic, etc.) ce qui ne faisait qu’augmenter mon trouble. Une odeur épouvantable régnait dans la pièce. Je me suis rendu compte que tout le monde était mort, sauf l’homme que j’avais suivi. Il venait de s’écrouler, et il marmonnait quelque chose dans sa barbe. Je me suis approché.

— Ne me venez surtout pas en aide, a-t-il dit, je dois mourir en martyr, je l’ai décidé.

— Mais pourquoi ?

Il avait du mal à déglutir.

— C’est une campagne de sensibilisation à l’hémophilie. Nous voulons briser le tabou du sang. Confronter les citoyens à l’hémoglobine pour ne plus être vus comme des pestiférés. Les gens ont peur de nous car personne n’aime voir du sang, et personne n’aime les maladies, mais au fond nous sommes moins malades qu’eux. Il faut un grand coup d’éclat pour marquer l’opinion, lui montrer qui nous sommes. Notre unité vient de s’éteindre, mais il en reste des dizaines d’autres sur Paris. Avant la fonte des neiges, la ville entière sera recouverte de sang. Les gens n’y feront même plus attention à la fin.

— Ça alors, vous êtes hémophile ?

Il a eu un sourire gêné.

— Oui, non, en fait un simple sympathisant de la cause. À vrai dire, dans cette unité, il n’y avait que trois hémophiles, pour qui la tâche était simplifiée. Tous les autres ont dû se « forcer » un peu ; moi-même, je me suis coupé quarante-sept fois pour enfin perdre tout mon sang. J’agis par solidarité.

Sur ce, il a gémi une dernière fois, et il est mort.

Je suis rentré chez moi en pensant à toutes les unités cachées dans Paris. Je les admirais. Ces poètes s’apprêtaient à tapisser la ville de leur sang, et moi, j’allais rester là sans rien faire ?

J’ai pris un couteau de cuisine, et je suis descendu dans la rue.

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Crise d'adolescence par Alexandra Prévôt

Adrien se prenait pour un vampire depuis un an. Sa mère avait dû apprendre à cuisiner sans ail – un de ses condiments préférés – et avait renoncé aux vacances sur la côte d’Azur. Lors d’une bénigne opération de l’appendicite, on avait annoncé à l’adolescent qu’il était hémophile. C’était la même année que la sortie de Twilight. Adrien avais pris l’option « grec ancien », et, pour lui, hémophile signifiait juste qu’il aimait le sang. À partir de ce jour, il avait donc décrété qu’il ne mangerait plus sa viande que saignante, et qu’il lui fallait de la viande rouge tous les jours. Les parents d’Adrien avaient pris ça à la légère, préférant se plier aux lubies de leur fils plutôt que de risquer la crise d’adolescence. « C’est juste un phénomène de mode », disaient-ils à leurs amis qui s’étonnaient de voir leur fils aussi pâle.

Ça faisait tout de même un an. Adrien avait arrêté le foot – il ne supportait plus les matchs en plein soleil, et s’était empâté. Son acné était omniprésente, parce qu’il ne parvenait pas à s’empêcher de gratter ses boutons, et l’hémophilie n’aidait guère la cicatrisation. Il avait assez peu d’amis, et ne parlait jamais de filles, et ne s’intéressait à rien si ce n’est aux vampires. Ses parents étaient inquiets.

Après s’être concertés, le père frappa à la porte du fils et lui fixa un rendez-vous pour dix-neuf heures dans la cuisine :

-Il s’agit d’une réunion de famille entre six yeux, sois à l’heure.

À dix-neuf heures, dans la cuisine, le père et la mère attendaient, mains à plat sur la table couverte de magazines et de brochures. Une délicieuse odeur de rôti de porc au thym sortait du four. Adrien arriva et ne fit aucun commentaire.

-Assieds-toi.

-Nous avons décidé de partir en vacances en famille, dit la mère.

Depuis leurs dernières vacances à Nice il y a deux ans, ils n’étaient pas partis. L’annonce ne fit ni chaud ni froid à l’adolescent, qui se contenta de demander, par pitié, de ne pas aller sur la côte d’Azur, infestée de touristes et de soleil.

-Nous allons en Roumanie…

-En Transylvanie, plus précisément… ajouta la mère, le regard pétillant.

-Le château de Dracula, tu connais ?

-On part demain, fais tes bagages !

Incrédule, Adrien regarda ses parents en se demandant s’il devait les prendre au sérieux ; finalement, il décida que oui, et remonta en courant dans sa chambre poster la nouvelle sur la page fan de Dracula sur Facebook.

Les parents avaient procédé à un échange de maison de quinze jours avec une famille francoroumaine, qu’ils devaient rencontrer à l’aéroport. Ils discutèrent une heure avec eux : la mère était française, et le père, roumain, parlait également très bien français. Les clés de leur future maison de vacances en poche, ils prirent l’avion. Ils n’étaient jamais allés en Roumanie avant, et furent surpris de la chaleur qui y régnait en sortant de l’avion. Le soleil brûlait; Adrien mit sa capuche pour se protéger. Sa mère n’aimait pas du tout le style que cela donnait à son fils : il ressemblait à une « racaille ». Ils passèrent la première journée à s’installer dans la maison. Adrien avait adopté sa nouvelle chambre. Il observait la décoration de la chambre : une chambre de fille narcissique dont les photos couvraient les murs. Il y avait également une immense bibliothèque, dans laquelle ne figurait aucun roman d’Anne Rice, ni de Stephenie Meyer. Il y trouva tout de même le grand classique de Bram Stoker, en langue originale. Il essaya d’en lire des passages, mais l’anglais n’était pas sa matière forte. Il remarqua des notes prises au crayon à papier sur des passages du roman, mais les pattes de mouche, a fortiori en anglais, étaient impossibles à décrypter. Il reposa le livre. La visite du château de Dracula était prévue pour le lendemain.

La fébrilité d’Adrien ne tarda pas à se transformer en déception. Les panneaux d’explication étaient exclusivement en roumain et en anglais, il n’y comprenait rien ; les armures, les cercueils, tout avait l’air factice, jusqu’aux toiles d’araignées. L’architecture grandiose ne touchait absolument pas Adrien, qui se sentait mal à l’aise, bousculé par des touristes, ébloui par des flash, et trahi dans sa passion : il était impossible d’imaginer que Dracula ait pu vivre dans un univers aussi aseptisé que le château de Bran. Et que penser de tous ces marchands du temple, avec leurs fromages Dracula (prenaient-ils son héros pour une chèvre ?), leurs mugs ridicules (sa mère lui en acheta un, croyant lui faire plaisir), et leurs figurines immondes ?

Les parents voyaient bien que quelque chose ne tournait pas rond chez leur fils, mais ils prirent son silence pour de l’émerveillement. En rentrant à la maison, Adrien s’enferma, furieux, dans sa chambre. Il voulait coucher sa rage sur le papier et chercha de quoi écrire. Il ouvrit tous les tiroirs du bureau de la jeune fille, jusqu’à trouver une rame de papier neuve. Il la déballa rapidement. Maladroitement, il se coupa avec le rebord d’une feuille et jura. Un peu de sang coula sur le papier blanc. Il savait que cela mettrait du temps à cicatriser, et s’amusa à tracer des dessins. Quand l’hémorragie ralentit, il se calma et rouvrit le tiroir pour prendre un crayon. Sous la rame de papier qu’il venait de déplacer se trouvait un cahier. Curieux, Adrien le feuilleta. C’était un journal intime. Il commença à lire un passage : « Je suis allée au cinéma avec X hier soir. Je pensais que nous allions être seuls mais ses idiots de copains Y et Z nous ont rejoints. Nous étions assis côte à côté, et nos mains se sont effleurées, à un moment. » Des trucs de filles, barbant. Adrien sauta plusieurs pages. « Les saignements ont repris. Maman dit que ça n’est pas grave. Elle m’a donné de quoi éponger le sang et m’a dit que nous irions chez le médecin bientôt. C’est la deuxième fois. Elle a tenté de m’expliquer que c’était normal, qu’elle aussi avait ça, mais moi, je ne trouve pas ça normal, de perdre tant de sang. » Adrien s’intéressa : lui aussi avait vécu la même chose. Ces saignements qui ne s’arrêtent pas, on dit que ça n’est rien, et puis finalement, on découvre que c’est une maladie, l’hémophilie. Il avait fallu attendre qu’Adrien soit opéré pour que les médecins s’en rendent compte, et ce n’est pas une maladie évidente. Ç’aurait pu être plus grave, d’après les médecins. Adrien lut la suite du journal. Les saignements fréquents de la jeune fille avaient l’air d’handicaper son quotidien. Il décida de lui écrire une lettre, pour lui parler de sa maladie, et la prévenir : elle était peut-être hémophile comme lui. Il en profita pour lui conseiller des livres.

Le reste des vacances se déroula tranquillement : malgré plusieurs randonnées dans les Carpates, Adrien resta blanc comme neige.

Quelques semaines après son retour, Adrien reçut une lettre de Roumanie.

« Tu n’aurais jamais dû ouvrir mon journal intime, sale fouineur. Et je ne suis pas hémophile, je suis une fille, pauvre idiot : j’ai mes règles. »

Adrien décida de s’intéresser un peu plus aux filles.

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